J’ai le plus beau des noms
F qui fuit vers un lieu d’exil
Où il est gardé par l’ombre détenue
R qui voit d’un œil qui saisit
Que la cécité est une jouissance
Pour un aveugle
A qui comme ma taille ne se courbe
Que pour boire l’eau
Des sources les plus succulentes
Les entrailles de la terre
Sont comme moi
Haletantes de soif
Nous nous partageons le secret
Enfoui au fond de nous deux
Et nous buvons ensemble.
T avec lequel j’erre telle une étoile
Qui ne résout ni à descendre sur terre
Ni à se reposer dans le ciel
Commentaire de Mohamed Salah Ben Amor :
Furat Esbir , la poétesse syrienne installée depuis longtemps à New-Zélande fait figure, actuellement , de l’une des voix les plus représentatives de la poésie arabe dite « émigrée » ( mahjari ) du point de vue de la qualité intrinsèque de ses écrits qui continuent à l’imposer magistralement aux deux niveaux arabe et mondial. La parution dans l’un des numéros de la revue belge « Bleu d’encre » d’un dossier préparé par nos soins sur cette poétesse et sur demande du directeur de cette revue n’est qu’une preuve de l’attrait que sa poésie suscite auprès des connaisseurs même non arabisants. Dans le poème ci-haut, elle fait étalage de ses dons artistiques en se faisant, à sa façon, son autoportrait .Le point de départ est l’idée ingénieuse d’épeler son prénom « Furat » et de donner à chacune des consonnes qui le composent une définition , sachant que ce nom propre est la forme arabe d’ »Euphrate », le fameux fleuve d’Irak , d’où une première connotation symbolique positive de vitalité et d’exubérance mais entachée d’un sens négatif, du fait que le cours d’eau, en général, signifie l’écoulement à sens unique de la vie et l’impossibilité pour l’être qui la vit de la faire revenir en arrière. Ainsi apparaissent, dès le début, dans la personnalité de la locutrice deux côtés opposés : l’un lumineux : la conscience de sa richesse et sa valeur individuelle qui sont synonymes d’estime et de confiance en soi auxquelles nous pouvons ajouter la sensation d’authenticité, étant donné que c’était grâce à l’Euphrate avec son affluent principal le Tigre que naquit la première civilisation moderne, et l’autre versant est sombre puisqu’il recèle un malaise existentiel inquiétant .Cette dualité s’affirme ensuite graduellement, tout au long du poème, avec l’énumération de chaque lettre et l’enchaînement de leurs définitions .Ainsi se rattachent au côté lumineux l’adoration par la locutrice de son propre nom (J’ai le plus beau des noms ), sa dignité ( ma taille ne se courbe que pour boire l’eau des sources les plus succulentes), sa soif ardente de vivre et sa profondeur spirituelle (les entrailles de la terre sont comme moi haletantes de soif ) et au côté obscur la sensation d’exil qui est réelle, du fait de son éloignement de son pays d’origine (F qui fuit vers un lieu d’exil où il est gardé par l’ombre détenue ), l’errance continuelle et la non-accommodation avec le milieu et avec soi-même que ce soit dans la réalité ou dans le rêve (T avec lequel j’erre telle une étoile qui ne se résout ni à descendre sur terre ni à se reposer dans le ciel ).
Un poème admirablement tissé au moyen de fils connotatifs extrêmement fins ,foisonnant d’images déroutes et d’éléments rythmiques internes agréables et dont le niveau sémantique fait plonger le récepteur dans l’univers intérieur abyssal de la poétesse.
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admin
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